vendredi 3 février 2017

Le chemin

J’ai reçu en lisant L’étranger de Camus une leçon de littérature, magistrale. Je m’étais arrêté de lire tout le temps de la rédaction de mon roman, pour préserver ce fil que j’avais attrapé, ce semblant de ton que j’avais instauré, cette voix qui me guidait, parce que j’ai une écriture assez plastique, malléable — résultat de longues années passées à écrire professionnellement pour les autres, dans tous les styles possibles. Quand je lis un auteur qui me plaît, qui m’impressionne, j’ai tendance à m’en inspirer, même inconsciemment. Depuis quelques semaines, je me replonge donc dans les livres avec délice, j’ai du retard à combler.

Chaque texte de Albert Camus est une claque. « Noces suivi de L'été », qui n’est pas un roman, m’avait subjugué ; une poétique fulgurante, cruelle pour l'écrivain en herbe. L’étranger est purgé de toute poésie, enfin, pas tout à fait. Elle est bien là, mais elle ne réside pas dans la prose.

Après l’avoir lu, j'ai longuement médité sur ce tour de force : camper un antihéros absolu, sans affect, ni rêve, ni espoir, dont la médiocrité contemplative dispute à l’indolence triste, Meursault, qui n’a pas d’ambition, n’attend rien, n’aime personne, qui n’éprouve pas de joie, de regret ou d'amertume, et fixer en négatif, dans un sévère dépouillement littéraire, une bouleversante ode à la vie, à la liberté, au goût des choses simples, à « l’équilibre du jour ».

Et dans le même souffle, sans exposer un seul argument, signer le plus implacable et le plus efficace des réquisitoires contre la peine de mort.

Il me reste encore du chemin à parcourir. Un long chemin.

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