vendredi 17 mars 2017

La révélation

Si aucun éditeur ne veut de mon texte, au bout du compte, je ne prétendrai pas de mauvaise foi que ça n’a aucune importance. Ce sera évidemment une déception dont il faudra bien se remettre et qu’il faudra analyser, si possible, ce qui n’est guère aisé puisque aucun de ces professionnels ne prend le temps de donner — sérieusement, sans préjugé — les raisons de son refus. Et puis, je me remettrai au travail. Mais cette fois-ci, je ne mettrai pas cinq ans pour rédiger un nouvel opus.

Certaines idées ont déjà germé en arrière-plan de mon cerveau. Elles sont encore fugaces, fantomatiques, mais je commence à les apercevoir. Et je commence déjà aussi, à penser, sans vraiment m’y attarder, à la forme que je pourrais adopter. J’engrange aléatoirement des jalons mentaux, sans ordonnancement ni choix, impressions, scènes, silhouettes, lieux, comme on accumule en vrac des photos dans un tiroir en se promettant de les trier, plus tard.

L’aspect positif de cette expérience, c’est que désormais, je sais ce que c’est que d’écrire un roman, d’un bout à l’autre. Une victoire, que j’ai sincèrement cru ne jamais pouvoir remporter. La ligne d’arrivée, que je connaissais — forcément, puisqu’on connaît toujours la fin de l’histoire que l’on raconte — ressemblait lorsque j’écrivais à l'horizon qui s’éloigne à mesure que l’on avance. Un mirage.

Aujourd’hui, j'ai éprouvé le degré de patience que cela exige, de concentration, de solitude aussi, car écrire c’est être seul, avec soi et ceux qui sont en soi, ceux que l’on a suscités et créés de toute pièce, ou dont on se souvient. C’est lutter pour capturer les idées qui jaillissent, lumineuses, et lutter encore pour ne pas les trahir à travers le clavier ; c’est invoquer les mots, provoquer la parole, questionner les sortilèges.

Et soigneusement se cacher au bord de la révélation.

vendredi 10 mars 2017

La détestation

J’ai fini par en rire. La réponse a été si virulente, et condescendante, qu’elle m'a arraché un rire nerveux, fataliste. Généralement, les éditeurs envoient une lettre type de refus, polie, vague, dans laquelle ils ne se justifient pas, ou à peine, et proposent à l’auteur de récupérer son manuscrit contre une enveloppe timbrée. Mais cette lettre de refus-là, je sens que je vais la garder précieusement et qui sait, peut-être un jour en ferai-je mon miel.

Ainsi donc, selon le membre du comité de lecture de ce petit éditeur, et parmi d'autres amabilités du même ordre, j’ai parsemé un récit vide, sans intrigue ni trame narrative, d’expressions alambiquées qui viennent alourdir un ensemble écœurant. Au dos de cette missive en forme d’exécution, le directeur de la maison a lui aussi écrit un mot dans lequel il tempère le ton vipérin de sa collaboratrice (puisque « le membre » du comité de lecture en question est une femme) et admet que c’est « plutôt pas mal écrit, et que ça se tient ».

Mais c’est pour mieux me tancer, sur un ton professoral, comme s’il avait corrigé la copie bâclée d’un étudiant, en indiquant que mon récit arrive un peu tard, que d’autres ont déjà rempli le créneau (sic) et qu’il n’y a rien de nouveau.

Je n’ai pas compris l’intérêt de ces sentences désobligeantes. Ils n'ont pas apprécié mon texte, soit, c’est leur droit le plus strict. Dans ce cas, une simple lettre impersonnelle — sur le modèle de celles que j’ai déjà reçues — aurait suffi. Or, ils ont préféré passer du temps à écrire à la main une série de jugements hautains et stériles, et me reprocher une absence de subtilité… sans la moindre subtilité. L'un de mes amis a fait cette remarque : « ils ont reçu ton manuscrit comme une insulte ».

Est-ce le signe que mon roman ne laissera pas indifférent, en fin de compte ? Il se pourrait qu’on l’aime ou qu’on le haïsse, sans demi-mesure.

Maintenant que la détestation s’est manifestée, le contraire devrait bien finir par arriver.

vendredi 3 mars 2017

Le début

Je me souviens d’une soirée chez des amis, il y a quelques années, chaleureuse, détendue, dans une grande maison qui abritait cette famille recomposée, un adolescent, sa mère et le compagnon récent de celle-ci. Des gens brillants, elle écrivain, lui journaliste, et le jeune bachelier qui venait d’intégrer l’une de ces grandes écoles qui forment l’élite du pays.

Nous bavardions à bâtons rompus et la conversation s’engagea sur les ouvrages qu’il avait à lire pour préparer son année, et sur ceux qu’il avait déjà lus. Son presque beau-père lui demanda alors incidemment, un peu comme un défi, s’il était en mesure de citer la première phrase d’un classique de la littérature, et l’étudiant, impressionnant, s'exécuta tout de go. Une phrase courte, tranchante. Complices, ils renouvelèrent l’exercice une ou deux fois. J’avais, à cette époque, entamé la rédaction de mon texte, et j’assistais en silence à leur petit jeu sans en saisir le sens, ni l’intérêt de se souvenir ou d’apprendre par cœur la première phrase d’un roman.

Beaucoup plus tard, c’est-à-dire il y a trois mois, je suis allé flâner à la FNAC, et, au rayon littérature, j’ai remarqué un petit livre à destination des romanciers en herbe, signé par une professionnelle de l’édition. Je l’ai feuilleté et suis tombé sur le chapitre « incipit », ou comment rédiger la première phrase de son roman — brève ou longue, simple ou complexe. Et l’auteur d’expliquer que, s'il n'y a pas de règle, cette seule première phrase peut malgré tout présider au succès, voire même à la postérité d’un roman.

Le hasard a fait que j’ai depuis retrouvé les incipit que le fils de mon amie avait si fièrement déclamés. Celui de L’étranger : « Aujourd’hui, maman est morte », puis celui de Du côté de chez Swann : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », sans doute les deux plus célèbres — et emblématiques — de la littérature française. Il m’a fallu tout ce temps pour comprendre l’enjeu qui se noue autour de ces premiers mots, la « clé signifiante » selon Aragon, et par contraste, ressentir de l'appréhension à l’égard des miens, ceux que j’ai choisis, travaillés, écrits et réécrits, sans jamais en mesurer pleinement l’importance, simplement par goût de la langue juste.

Et c’est avec Aragon, encore, que ma crainte s’est un peu dissipée : « Si pour moi, le début d’écrire est un mystère, plus grand est le mystère de finir ».