vendredi 2 mars 2018

Mieux vaut être une femme


En été, c'est bien connu, les stagiaires qui remplacent nos bons vieux facteurs en congés annuels ne perdent pas de temps à distribuer les colis. Enfin, c'est bien connu, mais j'avoue, j'avais oublié.

Au troisième avis d'instance gentiment déposé dans ma boîte-aux-lettres avec pour motif « absence » et « boîte-aux-lettres trop petite » ou « pas au format », je ne sais plus (alors que je travaille chez moi toute la journée, que ma porte d'entrée est pile en face des boîtes-aux-lettres de l'immeuble, et qu'au final, l'un des colis était une simple lettre en Colissimo qui entre parfaitement dans la boîte en question), je me rends à la Poste pour récupérer mes biens.

Les jeunes sont des petits branleurs. Petits, oui. Parce que gros, ça a au moins une utilité.

Évidemment, ô joie-ô bonheur, à la Poste, il y a une file d'attente longue comme le bras. Uniquement pour les envois et les retraits de colis ou de recommandés, puisque bien entendu plus personne n'est livré dans le quartier. Et c'est parti pour une bonne demi-heure de patience.

Je me perds dans mes pensées. Des lettres commerciales et éditos très chiants à écrire. Une petite semaine de détente à la plage pour bientôt. Oui, mais sous le soleil ou sous la pluie ? La file avance tranquillement, en silence. Sous la pluie, pas glop. Ça m'est déjà arrivé, être obligé de magasiner deux jours de suite en vacances au lieu d'aller rôtir au soleil. J'avais aimé moyen. Une deuxième préposée prête main forte à son collègue, un peu débordé. Ils sont vite débordés à la Poste. Elle est efficace. Mes lettres et mes maudits éditos ne vont pas s'écrire tout seuls. Ouais, ben j'ai pas envie, suis pas inspiré. Il ne reste plus que deux quidams devant moi. Certes, mais qui dit éditos bien écrits, dit sous sur le compte en banque — relativement malmené ces temps-ci.

L'un des quidams a oublié ses timbres, il part en chercher au distributeur. Aaaah, les sous, toujours les sous. Il y a du mouvement autour de la préposée. Je rêve d'un monde sans sous, tiens. Le quidam revient avec ses timbres. Plus de sous, plus d'emmerdes. Une dame aux cheveux blancs se faufile dans la file. Elle était déjà là, elle ? J'étais vraiment ailleurs, je ne l'avais pas vue. La préposée s'en occupe, rapidement, entre deux colis. Je suis très en retard dans mes livraisons rédactionnelles. « La prochaine fois, madame, vous ferez la queue comme tout le monde ! »

La réflexion a fusé, tonitruante dans le bourdonnement feutré de la salle. Elle aurait pu venir de moi, c'est tout à fait mon genre. Mais elle vient de plus loin, derrière. Moi, j'écrivais paresseusement mes éditos en sirotant un ballon de blanc, allongé sur la plage abandonnée, avec quelques huîtres de Bouzigues pour muses gastronomiques. « Oh, excusez-moi.
— Pas la peine de vous excuser maintenant que c'est fait !
— Mais c'était juste pour un tampon.
— C'est pas une raison pour nous passer devant. »

Et la resquilleuse disparaît, fissa. Murmures rageurs dans la file sur l'air du il-y-en-a-qui-ne-doutent-de-rien. Et caetera, et caetera. Où sont mes huîtres, bordel ? Il n'y a plus qu'une personne devant moi. Je touche au but. Les lettres, je les écrirai ce week-end — Tu parles, le week-end, tu ne fous jamais rien. Une autre naine argentée surgit. Ratatinée pareil. Deux enveloppes à la main. Bien timbrées comme il faut. Elle veut quoi, l'ancienne ? Pas question, celle-là ne me passera pas sous le nez. Je prends les devants : « Pour le courrier, madame, la boîte est dehors.
— Oui, je sais, mais ce n'est pas pour ça.
— Ben, attendez votre tour.
— Non mais c'est juste pour une question. »

Et la voilà qui se plante devant la préposée : « C'est fini la levée ? Ça doit partir ce soir.
— Non madame, il reste un quart d'heure.
— Bon, je vous les confie alors.
— Non madame, vous devez les déposer dans la boîte.
— Oui mais il faut que ça parte...
— Ça ne partira pas plus vite, et la levée sera faite, ne vous inquiétez pas. »

La file bouillonne de soupirs excédés. Et le tonitruant derrière de me glisser d'une voix tordue par l'envie de meurtre : « À la Poste, il vaut mieux être une femme, et vieille... »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire